CHAPITRE I

En route pour Kernach

 

 

« MAMAN », demanda François ce matin-là alors que toute la famille se trouvait réunie autour de la table du petit déjeuner, « maman, as-tu décidé où nous passerions nos grandes vacances cette année ? Retournerons-nous à Grenoble comme l’été dernier ?

— Non, répondit Mme Gauthier. Je crains que ce ne soit pas possible. Les hôtels sont déjà complets et les touristes ne cessent d’affluer de partout. »

François, Mick et Annie firent la grimace. Tous trois échangèrent par-dessus leurs bols des regards consternés. Grenoble était une ville si agréable ! C’était un centre d’excursions charmantes et on y respirait l’air pur de la montagne.

« Allons, dit M. Gauthier, ne vous désolez pas d’avance. Nous trouverons bien quelque autre endroit où vous envoyer et où vous vous amuserez autant. De toute façon, votre mère et moi ne pouvons partir avec vous cette année. Maman ne vous avait pas prévenus ?

— Non ! s’écria Annie. Est-il vraiment impossible que vous preniez vos vacances avec nous cet été ? Nous étions toujours restés ensemble jusqu’à présent.

— Sans doute, répondit Mme Gauthier, mais cette année-ci papa désire que je l’accompagne dans le Nord en voyage d’affaires. Alors, comme vous êtes maintenant assez grands pour vous débrouiller seuls, nous avons pensé que cela vous amuserait de passer vos vacances tous trois ensemble. Cependant, étant donné qu’il n’y a pas de place à Grenoble, et qu’il ne saurait être question que vous restiez à Lyon, je me demande bien où nous allons vous envoyer…

— Pourquoi pas chez les Dorsel ? » proposa soudain papa.

Henri Dorsel était le frère de Mme Gauthier, et par conséquent l’oncle des trois enfants. François, Mick et Annie ne l’avaient vu qu’une fois, et son aspect les avait intimidés. C’était un homme très grand, au front sévère, un savant d’une certaine renommée et qui passait le plus clair de son temps à étudier. Il habitait au bord de la mer… et c’était tout ce que ses neveux savaient de lui.

« Chez Henri ? s’exclama Mme Gauthier, assez étonnée. Qu’est-ce qui t’a fait penser à lui ? Mon frère n’est pas homme à supporter qu’une bande d’enfants vienne mettre le désordre dans sa petite maison.

— Ma foi, j’ai rencontré l’autre jour à Paris la femme d’Henri. Comme moi-même, elle était venue pour affaires. Dans le courant de la conversation elle m’a avoué qu’elle se sentait un peu seule à Kernach. Son mari est toujours plongé dans ses livres et elle se demandait si elle n’en viendrait pas à prendre un ou deux pensionnaires pour l’été, histoire de s’occuper un peu. La maison des Dorsel se trouve au bord de la rivière, tu le sais. Ce serait un lieu de séjour idéal pour les enfants. Tante Cécile est très gentille. Elle prendrait grand soin d’eux, j’en suis sûr.

— Oui… et elle a une fille avec laquelle nos trois diablotins pourraient jouer. Voyons, comment s’appelle-t-elle au juste. ? Ah ! oui, Claudine. Quant à son âge, je crois qu’elle doit avoir environ onze ans.

— Comme moi ! s’écria Mick. Dire que nous possédons une cousine que nous n’avons jamais vue ! Elle doit joliment s’ennuyer toute seule. Moi, j’ai François et Annie pour me tenir compagnie.

Mais cette pauvre Claudine est fille unique, c’est bien triste ! Je suppose que notre venue lui ferait plaisir.

— Justement ! coupa M. Gauthier. Votre tante Cécile m’a déclaré que la fréquentation d’enfants de son âge serait un bienfait pour Claudine. Je suis persuadé que, pour résoudre ce problème des vacances, il suffit de téléphoner à Cécile et de nous entendre avec elle pour qu’elle accepte de recevoir les enfants cet été. Ils mettront un peu d’animation autour d’elle et serviront en même temps de compagnons de jeux à leur cousine. De notre côté, nous saurons qu’ils sont en de bonnes mains. »

L’idée de leur père fut accueillie avec enthousiasme par les trois enfants. Quelle joie ce serait pour eux de séjourner en un lieu où ils n’étaient encore jamais allés et de vivre aux côtés d’une cousine qu’ils ne connaissaient pas !

« À quoi ressemble la plage ? Du sable ou des galets ? L’endroit est-il joli ? Y a-t-il des falaises des rochers ? demanda Annie.

— Je ne m’en souviens pas très bien, répondit son père, mais je suis certain qu’il vous plaira. Il s’agit d’une baie, la baie de Kernach. Votre tante Cécile a vécu toute sa vie dans le coin et ne le quitterait pour rien au monde.

— Vite, papa ! Dépêche-toi de téléphoner ! demanda Mick d’une voix pressante. Quelque chose me dit que nous nous amuserons follement là-bas. La baie de Kernach ! Est-ce que cela ne sent pas l’aventure ? »

M. Gauthier se mit à rire.

« Tu dis toujours ça, où que tu ailles, mon garçon ! Je vais téléphoner et tâcher de m’entendre avec votre tante. »

Les enfants, ayant terminé leur déjeuner, se levèrent de table et suivirent leur père dans le vestibule où se trouvait l’appareil téléphonique. Ils étaient impatients d’apprendre le résultat de la conversation.

« J’espère que tout va s’arranger au mieux pour nous ! dit François. Je me demande à quoi peut ressembler cette Claudine. Elle a un joli prénom, vous ne trouvez pas ? Un an de moins que moi et le même âge que toi, Mick. Quant à toi, Annie, tu es plus jeune qu’elle d’un an. Autrement dit, nous sommes faits pour nous entendre. Tous quatre, j’ai idée que nous pourrions nous donner du bon temps ! »

Quand M. Gauthier eut obtenu sa communication, il fit signe aux enfants de s’éloigner, mais ceux-ci le virent revenir vers eux au bout de dix minutes et, tout de suite, comprirent que la partie était gagnée. Un large sourire éclairait le visage de leur père.

« Tout est arrangé ! annonça-t-il. Votre tante Cécile se déclare enchantée de vous recevoir. Elle m’a affirmé que votre présence ferait grand bien à Claudine dont l’existence est un peu trop celle d’une sauvageonne. Par exemple, il vous faudra faire attention à ne pas déranger l’oncle Henri. C’est un intellectuel qui travaille beaucoup et se fâche volontiers quand il est troublé dans ses études.

— Nous ne ferons pas plus de bruit que de petites souris, affirma Mick. Nous te le promettons, papa. Mais dis-moi, quand partons-nous ?

— La semaine prochaine, si maman peut préparer vos affaires d’ici là. »

Mme Gauthier fit un signe d’assentiment.

« Oui, dit-elle. Il n’y, a pas tellement à faire. Que leur faut-il ? Leurs maillots de bains, des pull-overs et des shorts. C’est à peu près tout ce qu’ils porteront là-bas.

— Quelle chance de mettre de nouveau des shorts ! jubila Annie en dansant sur place. À Kernach je serai toujours en short ou en maillot de bain et passerai mon temps à me baigner ou à escalader les rochers avec les garçons.

— Personne ne t’en empêchera, approuva sa mère en riant. En attendant, veille à me dire ce que tu désires emporter comme jouets et comme livres. Mais que ta liste ne soit pas trop longue, car la place est limitée dans vos bagages.

— L’année dernière, dit Mick, Annie voulait emporter à Grenoble sa douzaine de poupées au grand complet. Tu t’en souviens, Annie ? C’était très drôle.

— Je ne vois pas pourquoi ! rétorqua Annie en rougissant. J’aime toutes mes poupées et comme je ne savais vraiment laquelle choisir, j’ai pensé que mieux valait les prendre toutes avec moi.

— Et te rappelles-tu encore, Annie, que l’année précédente, tu voulais à toute force emporter le cheval à bascule…»

Mme Gauthier intervint.

« Je me rappelle, moi, un petit garçon appelé Mick qui, certaine année, désirait empiler dans sa valise un gros ours en peluche, trois chiens, deux chats et même son vieil âne à roulettes », dit-elle.

Ce fut au tour de Mick de rougir jusqu’aux oreilles. Il changea bien vite de sujet de conversation.

« Papa, comment voyagerons-nous ? En train ou en voiture ?

— En voiture ! Nous pourrons fourrer tous nos bagages dans le coffre arrière. Voyons, nous pourrions partir… disons mardi.

— Cela me convient tout à fait, opina Mme Gauthier. De la sorte nous aurons le temps de conduire les enfants à Kernach, de revenir ici faire nos propres valises à loisir et de nous mettre en route dès vendredi. Oui, décidément, entendu pour mardi ! »

Jamais mardi ne fut attendu avec plus d’impatience. Les enfants comptaient les jours en soupirant et Annie, chaque soir avant de se coucher, rayait soigneusement du calendrier la journée écoulée. Cette semaine-là parut interminable. Enfin, enfin, le mardi arriva ! Mick et François, qui partageaient la même chambre, s’éveillèrent en même temps et se dépêchèrent de jeter un coup d’œil par la fenêtre…

« Chic ! il fait un temps magnifique ! s’écria François en sautant hors du lit. Je ne sais pourquoi, mais il semble essentiel qu’il fasse beau le premier jour des vacances. Allons vite réveiller Annie. »

Annie couchait dans la pièce voisine. François y entra en coup de vent et secoua sa sœur par l’épaule.

« Debout ! C’est mardi et le soleil brille. »

Annie s’éveilla et sourit à son frère.

« Le jour du départ est enfin arrivé ! dit-elle toute joyeuse. Jamais le temps ne m’avait paru aussi long. Il me tarde tellement d’arriver à Kernach ! »

On se mit en route aussitôt après le petit déjeuner. La voiture des Gauthier était vaste et toute la famille put s’y installer confortablement. Papa et maman prirent place sur la banquette avant, tandis que les trois enfants occupaient le siège arrière, les pieds posés sur deux valises qui n’avaient pu trouver à se loger dans le coffre. Celui-ci était plein d’une quantité invraisemblable de paquets, Sans parler d’une petite malle rangée tout au fond.

Mme Gauthier croyait bien n’avoir rien oublié.

 

La voiture se faufila à travers l’encombrement des rues de Lyon puis, laissant la ville derrière elle, prit de la vitesse et commença à filer bon train sur la grand-route.

On se trouva vite en pleine campagne. Les enfants se mirent à chanter à pleine voix, comme ils le faisaient toujours quand ils se sentaient heureux.

« Allons-nous bientôt nous arrêter pour déballer le pique-nique ? demanda Annie qui commençait à avoir faim.

— Oui, répondit sa mère, mais pas tout de suite. Il n’est encore que onze heures et nous ne mangerons pas avant midi, ma chérie.

— Jamais je ne pourrai tenir jusque-là ! » se récria la petite fille.

Aussi Mme. Gauthier lui passa-t-elle une tablette de chocolat qu’Annie partagea avec ses frères. Tous trois savourèrent la friandise pendant que collines, bois et prés défilaient sous leurs yeux.

Le pique-nique marqua une halte agréable, dans un cadre champêtre à souhait. Par exemple, Annie n’apprécia guère la grosse vache brune qui s’approcha d’elle pour la dévisager avec curiosité. Heureusement que l’animal s’en fut sans insister lorsque papa agita sa serviette dans sa direction. Les enfants se découvrirent un appétit d’ogre. Ils dévorèrent littéralement et maman déclara que, comme ils avaient englouti jusqu’aux sandwiches préparés pour le goûter, on serait obligé de faire halte dans quelque auberge au bord de la route vers quatre heures et demie.

« À quelle heure arriverons-nous chez tante Cécile ? » demanda François en avalant la dernière bouchée de son dessert, avec le regret qu’il n’y en eût pas davantage.

« Vers six heures, si tout va bien, répondit son père. Pour l’instant, dégourdissez-vous les jambes avant de remonter en voiture. Nous avons encore une longue route à faire. »

Bientôt, les kilomètres défilèrent de nouveau. L’heure du goûter arriva. Puis les trois enfants commencèrent à témoigner d’une joyeuse impatience à présent que le but de leur voyage approchait si visiblement.

« Guettons bien l’apparition de la mer ! recommanda Mick. Je la devine déjà à l’odeur. »

Et c’était vrai. L’air apportait jusqu’à leurs narines les senteurs iodées du grand large. La voiture s’arrêta soudain au sommet d’une petite éminence… et la mer fut devant eux, d’un bleu éblouissant sous le soleil, calme et lisse à miracle. Les trois enfants poussèrent une clameur d’enthousiasme.

« La voici enfin !

— Comme elle est belle !

— Je voudrais pouvoir me baigner tout de suite.

— Dans vingt minutes environ nous arriverons à la baie de Kernach, annonça M. Gauthier. Nous avons été vite. Mais vous ne tarderez guère à apercevoir la baie elle-même. Elle est assez vaste, avec une curieuse petite île au milieu. »

Lorsque l’auto s’engagea sur le chemin qui longeait la mer, les enfants se mirent à guetter l’apparition de la baie. François fut le premier à l’apercevoir.

« La voilà !… Oui, c’est certainement la baie de Kernach ! Regarde, Mick, comme elle est pittoresque et d’un joli bleu !

— Et toi, vois-tu la petite île rocheuse qui a l’air de monter la garde au milieu ? J’aimerais bien la visiter !

— Eh bien, vous en aurez certainement l’occasion, dit Mme Gauthier en se retournant. À présent, il s’agit de trouver la Villa des Mouettes, où habitent mon frère et sa famille. »

On ne tarda pas à la découvrir. Elle se dressait sur la petite falaise qui dominait la baie, et offrait l’apparence d’une très vieille demeure. Ce n’était pas à proprement parler une villa mais une grande maison de pierre blanche, que les ans avaient délicatement patinée. Des roses grimpantes en tapissaient la façade et le jardin qui l’entourait s’égayait de mille fleurs.

« Voici la Villa des Mouettes, annonça M. Gauthier en arrêtant la voiture devant la grille. Il paraît que cette bâtisse n’a pas moins de trois cents ans ! Voyons… où est Henri ? Ah ! mes enfants… voilà tante Cécile ! »

 

Club des Cinq 01 Le Club des Cinq et le trésor de l'île
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